A Malanville, au Nord du Bénin, à plus de 700 kilomètres de Cotonou, la culture de contre-saison devient presqu’un impératif, une réponse locale aux défis liés aux changements climatiques. Dans cette région de la vallée du Niger, où la variabilité pluviométrique a induit des incertitudes sur la saison pluvieuse, les agriculteurs optent pour une approche de résilience : celle de produire en période de sécheresse afin d’échapper aux affres des inondations, occasionnant chaque année, la destruction des centaines d’hectares de champs.
Reportage de Loukoumane Worou Tchehou à retrouver sur Mongabay à travers le lien ici
Reconnue pour sa grande fertilité agricole, Malanville est depuis quelques années sous la menace de la montée des eaux en période pluvieuse. Ce phénomène cyclique dévaste les cultures et occasionne la destruction des habitations. D’après la plateforme de prévention des risques et catastrophes à la Mairie de Malanville, les inondations de 2013 dans le bassin du Niger, par exemple, ont touché 3850 ménages de la Commune de Karimama et 5341 de Malanville. Les pertes agricoles sont estimées à 21 521 hectares de champs cultivés cette année-là, soit environ 30 744 fois terrain de foot, selon les rapports de la mairie. Face aux inondations régulières, la culture de contre-saison est devenue la panacée des producteurs. « Dans quelques semaines, au démarrage de la pluie, vous ne pourrez pas venir dans ces lieux [le périmètre rizicole P10 -Ndlr] à cause des inondations », affirme Souh Soumaïla, Secrétaire général des producteurs du riz à Malanville, rencontré très tôt le matin dans son champ au périmètre appelé P 10, un espace consacré à la culture du riz au nord-est de Malanville, loin des habitations. Dans cet espace quasi désertique, s’entremêlent la fraîcheur des eaux de l’irrigation et la chaleur du soleil. Les alentours sont des espaces vides non cultivés et totalement arides.
C’est actuellement la période de grande sécheresse au nord du Bénin et principalement à Malanville, à la frontière avec le Niger. Pourtant, sur ce vaste champ d’environ cinquante hectares, tout est verdoyant malgré les 45° C de température enregistrés en avril. Les agriculteurs y cultivent une variété de produits comme le maïs, le sorgho, le mil, l’oignon et la pomme de terre, mais majoritairement le riz. « Je produis du riz », dit Sambo Mounirou, agriculteur à Kotchi, un hameau de Malanville, situé entre les fleuves Sota et Niger. Dans cette zone, les arbres et arbustes se comptent au bout des doigts. L’endroit est tellement calme qu’on entend au loin les bruits d’une motopompe. La trentaine environ, Sambo Mounirou, une houe en main, supervise son périmètre rizicole de 2 hectares entièrement revêtus de plants verts de riz avec l’humidité d’une période de pluie. C’est plutôt le résultat de l’irrigation. Mais pour s’y rendre, il faut braver la poussière et le sable comme au désert.
Engagé dans la pratique de culture de contre-saison depuis quatre ans, Mounirou ressasse encore les souvenirs amers des dégâts occasionnés par la montée des eaux dans la vallée du Niger en 2020. « Trois hectares de mes cultures de riz et de maïs ont été détruits en août 2020. Et depuis, je crains de produire en saison des pluies. Même si je le voulais, je ne peux pas cultiver en saison pluvieuse à cause des inondations. Vous le constatez d’ailleurs, je ne suis pas seul à adopter cette pratique agricole ici », dit-il.
Production de contre saison, une approche incontournable
Comme lui, plusieurs autres producteurs pratiquent la contre-saison. C’est presque l’approche généralisée dans cette région du pays, qui devient inaccessible en temps de pluie, de juin à octobre. Hadiza, mère de quatre enfants, dit avoir été également victime, à plusieurs reprises, des impacts de la montée des eaux. Spécialisée dans la production de l’oignon, elle justifie son choix de saison par la crainte des dégâts des inondations périodiques. « En période de pluie, tout cet espace que vous voyez ne sera plus accessible, il sera envahi par les eaux ».
« A Karimama et Malanville dans le pôle 1 qu’on appelle Vallée du Niger, la culture de contre-saison est très développée. On a des terres dans la vallée qui ne peuvent pas être exploitées en saison des pluies. A cause des risques d’inondations, pour ces terres constamment submergées d’eau en temps de pluie, pour continuer à les exploiter, les producteurs préfèrent le faire en contre-saison en y drainant de l’eau », déclare Dr Afizou Ganda, Chef de la Cellule communale de l’Agence territoriale de développement agricole (ATDA)
Ganda explique que les terres de la vallée du Niger s’enrichissent de façon naturelle. « Après les inondations, il y a le dépôt des alluvions qui améliorent la fertilité des sols. Ce qui fait qu’en contre saison, en apportant l’eau par le système des puits tubés, les producteurs arrivent à exploiter ces terres-là, sujettes aux inondations ». « En 2023, la pluie a accusé assez de retard et n’a pas été abondante. Nous ne savons pas ce qu’il en sera pour les prochaines saisons », s’inquiète David Labo, un membre de la Coopérative villageoise de producteurs de Boïffo, une autre localité de l’Arrondissement de Guéné au sud de la ville de Malanville.
Selon Bouraïma Yabi, Climatologue à l’université d’Abomey Calavi au Bénin, la situation des inondations récurrentes dans la région se justifie par « la combinaison des activités humaines au plan local et l’instabilité climatique au niveau planétaire ». Un avis partagé également par Ganda, qui pense que ce phénomène est dû au dérèglement pluviométrique lié aux variations climatiques.
En effet, la pluviométrie de la région est assez torrentielle et irrégulière. Si, par exemple, en 2023, les producteurs se sont plaints de n’avoir eu les premières pluies que vers la fin du mois de juillet, en 2024 par contre, elles sont précocement enregistrées et de façon légère dans le mois de mai. Avec les précipitations annuelles moyennes estimées à plus de 900 mm, la vallée du Niger connaît habituellement une saison pluvieuse intercalée de poches de sécheresse jusqu’au mois d’août avant de se stabiliser en juillet pour laisser place aux grandes eaux dévastatrices pendant des semaines. Le mois d’octobre marque généralement la transition de la période pluvieuse vers la saison sèche, les deux saisons qui s’alternent dans une année…
Le processus cultural
La production de contre-saison suit un certain nombre d’étapes. « Il faut d’abord le nettoyage du terrain, ensuite l’irriguer pour pouvoir labourer. Nous utilisons ici les bœufs et la charrue pour le labour », explique Mounirou. Selon Ganda, dans la vallée du Niger, pour l’irrigation des sols, les populations se servent des puits tubés, c’est-à-dire des puits disposant d’un système de tuyauterie. « Puisque pendant la saison sèche où les sols sont arides, le producteur doit apporter de l’eau à travers le système d’irrigation. Dans le processus, il ne suffit pas de disposer de puits tubés. Il faut également des motopompes. Celles-ci permettent de pomper l’eau afin d’apporter de l’humidité à la plante », dit Ganda.
Ces étapes précèdent le labour, selon les acteurs agricoles. D’après leurs témoignages, les moyens de labours varient d’un producteur à un autre. Si certains utilisent les machines agricoles pour bêcher la terre, d’autres, la majorité, se servent de la charrue et des bœufs pour le travail. Après le labour, les producteurs procèdent au repiquage et assurent la croissance des plantes grâce à l’irrigation.
Une culture plus exigeante
En plus de l’apport quotidien d’eau en quantité importante (une quantité estimée à plus de 30 m3 par heure pendant environ cinq heures la séance à l’hectare), les producteurs font recours aux intrants agricoles tels que les engrais (huit sacs d’engrais urée à l’hectare), les semences améliorées vendues à 300 francs CFA (soit 0,49 USD) le kilogramme et quelquefois des herbicides. « Le rendement que nous recherchons pour les engrais n’est toujours pas disponible (La quantité d’engrais [en termes du nombre de sacs-NDLR] n’est toujours pas disponible. Quand j’exprime le besoin d’acheter 4 sacs par exemple, je n’en trouve que deux.) », dit Amadou Hassane, un agriculteur rencontré dans son champ de maïs d’environ cinq hectares.
Les motopompes sont nécessaires pour irriguer nos superficies de production. « Pour les faire fonctionner, il nous faut du carburant qui coûte cher depuis quelques semaines [600 voire 700 francs CFA (1,16 USD) contre 350 francs CFA (0,58 USD) précédemment -Ndlr] », explique-t-il avant d’évoquer l’indisponibilité des semences améliorées en quantité suffisante. Les producteurs s’approvisionnent en semences à l’ATDA ou auprès des particuliers. A croire ce producteur de céréales, la qualité des semences importe énormément dans la culture de contre-saison. Il explique la situation par le fait que certains producteurs utilisent des semences de leur culture antérieure sans se référer aux spécialistes. «Généralement, ce sont des semences qui n’ont pas subi de tri et qui contiennent de mauvaises graines », dit-il avant d’ajouter: « C’est pourquoi, aux séances de formation, les encadreurs (spécialistes du secteur agricole-NDLR) nous demandent d’aller vers les structures agréés pour acheter les semences améliorées ». Autre exigence de cette activité, poursuit-il, c’est la disponibilité, le suivi et le respect des opérations. « Le moindre oubli d’une séance d’irrigation impactera négativement les plantes. Le suivi doit être accru », dit Amadou Hassane.
Le choix des semences selon les cycles, un facteur important
En plus des exigences en eau, en engrais et en pesticides, les cultures de contre-saison sont aussi fonction de la durée du cycle des cultures. Deux mois pour le cycle court et trois mois voire un peu plus pour le cycle long. A Malanville principalement, le choix varie d’un agriculteur à un autre.
A Sankawa Tédji, à l’ouest de Malanville centre, Maimounatou Maidawa, productrice d’oignon, se réjouit d’avoir récolté ses trois tonnes d’oignon avant les premières pluies. « Je remercie Dieu pour avoir terminé mes récoltes d’oignons très tôt », se réjouit Maimounatou. Contrairement à elle, Zibo Bagnan, producteur à Kotchi, craint que les pluies ne retrouvent ses deux hectares de maïs de cycle long. « Je n’ai pas vite démarré la saison. Et, en raison de l’indisponibilité des semences de courte durée, je me suis trouvé dans l’obligation de faire avec le cycle long. Actuellement, je prie pour que les grandes pluies ne viennent pas tôt. Sinon, cette zone sera envahie par les eaux », dit-il. Nous l’avons rencontré dans son champ où l’humidité défie la forte température du soleil. Ici, loin des agglomérations, on peut entendre chanter, avec frénésie, des oiseaux de petite taille perchés sur les quelques arbres bénéficiant de l’humidité. A quelques 500 mètres de là, se trouve le champ d’un autre agriculteur absent sur les lieux, la fraîcheur laisse échapper des odeurs d’un marigot à poissons. Avec la taille des pousses de ses cultures, Zibo n’est pas sûr de pouvoir récolter avant les grandes pluies.
Pour le Secrétaire général de l’Association des producteurs du riz, les agriculteurs sont souvent sensibilisés sur le choix des semences. « Si un paysan sait qu’il est en retard, le mieux à faire, c’est de choisir le cycle court. Autrement, il risque de ne pas pouvoir récolter parce que les inondations vont survenir et tout emporter. Personne ne peut venir sur ces lieux en saison des pluies si ce n’est par la pirogue », explique ce responsable des producteurs. Mais, à en croire Ganda, les semences à cycle court sont moins productives comparativement à celles de longue durée. « L’avantage avec les productions de court délai, c’est qu’on investit moins en ressources », dit-il.
Quid de l’assistance des gouvernants?
A l’Agence Territoriale de Développement Agricole Vallée du Niger (ATDA -VN), les responsables rassurent de la disponibilité du gouvernement béninois à accompagner les producteurs. Selon Ganda, le ministère de l’Agriculture à travers l’ATDA apporte un encadrement technique aux agriculteurs. « Cet encadrement technique se fait par des formations, les suivis et appuis conseils. Et au-delà, nous leur apportons également des renforcements de capacité en termes de matériels et des équipements », précise Ganda. Il explique que les gouvernants apportent un certain nombre d’aménagements pour leur faciliter les activités de contre-saison. Ce dernier explique que les producteurs bénéficient des matériels de production comme les puits tubés, les motopompes et certains matériaux de travail du sol ou de récolte à travers différents projets/programmes. A l’en croire, il est prévu dans les années à venir un programme maraîcher d’aménagement de 1500 hectares à Malanville et Karimama. A cela, s’ajoute la mise à la disposition des producteurs des semences améliorées, soit sous forme de subvention avec la révision des prix à la baisse, soit sous forme de don. « Nous apprenons à ces agriculteurs comment produire de façon résiliente pour faire face à ces changements climatiques, partant de l’utilisation de la ressource « eau », de la restauration du sol, de comment créer les microclimats à travers les systèmes agro-forestiers », a dit Ganda.
Toutes ces actions feront que la région sera toujours la plus productrice du riz au Bénin avec 40 % de production et l’un des greniers du maïs, du sorgho, du mil et des produits maraîchers tels que l’oignon, la pomme de terre et la tomate du pays. Ainsi, elle pourra exporter le surplus de sa production en direction du Nigéria et du Niger.