Dans certaines régions béninoises, se déplacer avec d’importantes sommes d’argent constitue un gros risque de sécurité. C’est le cas dans le département de l’Alibori notamment à Malanvile, à Kandi ou encore à Karimama, des localités situées à l’extrême nord du pays où sévissent des actes de grand banditisme lié au terrorisme avec des braquages et vols à main armée. En réponse à cette situation, commerçants, agriculteurs et particuliers optent pour des transactions électroniques devenues une alternative précieuse.
Il sonne 15h (heure locale) ce jeudi 12 décembre 2024! Nous sommes au grand marché à bétail de Guéné dans la commune de Malanville, à plus de 700 Kilomètres de vol d’oiseau de Cotonou. Devant une cabine à l’entrée du marché au bord de la grande route nationale inter-état N°2, Brahim, un grand commerçant de bétails (moutons et bœufs) s’affaire dans un environnement bouillant à faire le dépôt d’une somme de plus de 400 000 Fcfa sur son compte électronique, Mobile Money. « C’est la recette de la matinée d’aujourd’hui (jeudi –jour du marché de Guéné- Ndlr) que je dois sécuriser », confie-t-il. Pour ce commerçant, 35 ans environ, c’est un moyen efficace pour sécuriser ses recettes quotidiennes. « Quand je revends ou achète, je préfère recevoir ou effectuer le paiement électronique. Je n’aime plus manipuler l’argent en espèce à cause des voleurs qui peuvent te couper la route, sur le chemin de la maison. C’est notre réalité ici. Mieux vaut faire les transactions avant de bouger du marché pour éviter d’être une victime», raconte notre interlocuteur en langue locale Haoussa.
« Dans la soirée du 14 août 2024, j’ai été dépouillé par un groupe d’individus armés alors que je rentrais d’une activité d’affaire à Kandi. J’avais plus de 200 000 Fcfa en poche le jour-là. Les bandits m’ont tout arraché», confie Muhamed Dosso, une victime de braquage.

Ces derniers temps, les actes d’insécurité se sont multipliés dans le nord du Bénin. Anatou, la quarantaine environ, semble être précautionneuse. Entrepreneure spécialisée dans la transformation agro-alimentaire et basée à Boulanga, un quartier populeux de Malanville, cette dame selon ses confidences privilégie les transactions électroniques. D’après cette commerçante au milieu d’une dizaine de sacs d’arachide et de maïs, il n’est plus nécessaire de transporter de l’argent en liquidité. « L’Etat ne peut pas mettre d’agent de sécurité derrière chaque citoyen. Lorsque je vais en brousse, dans les champs, j’achète les produits agricoles en faisant des dépôts » fait-elle savoir. Un avis partagé par Latifou Bagnan, un travailleur dans une société privée. Depuis environ deux ans, selon son témoignage, le paiement électronique est le mode de règlement privilégié de ses factures de la Sbee et de Soneb. Il justifie son option par un double avantage. «Je gagne en temps et en sécurité mais également en transparence. A chaque paiement depuis mon bureau à travers la Kkiapay, je reçois les quittances en ligne. Plus besoin de parcourir une distance pour aller faire la queue au guichet», explique Bagnan.

Le paiement en ligne des factures est une avancée dans l’éco système numérique béninois. Le gouvernement justifie cette révolution par le besoin de réduire les tracasseries aux citoyens. « En plus de faciliter la vie aux abonnés, ce service va permettre à la SONEB d’aller vers un recouvrement plus rapide », a déclaré au lancement de la plateforme, le 14 mars 2022, Aurélie Adam Soulé Zoumaro, Ministre du Numérique.
Des défis à relever
Dans le rang des agriculteurs, le sujet est bien connu mais n’est pas totalement accepté. C’est pourquoi Karim Inoussa, ancien Secrétaire Général de l’Union des producteurs à Goungoun, invite à plus de sensibilisation de la communauté. « Dans notre groupement, lorsque des organisations partenaires veulent nous appuyer, c’est généralement à travers des paiements électroniques que nous recevons les fonds. Certains préfèrent du cash parce qu’ils veulent faire des achats de tel ou tel produit chez la vendeuse du quartier », explique Karim qui vante la sécurité qui caractérise ces transactions.
Malgré son avantage, le secteur reste confronté à certaines difficultés. La distance des régions de l’Alibori n’est pas que géographique. Elle est également infrastructurelle. Dans certaines localités, l’accès aux réseaux de téléphonie mobile demeure un défi. A Mokolé, Kotchi à Malanville, Loumbou-Loumbou ou encore Monsey dans la commune de Karimama, les populations se plaignent de la couverture limitée des réseaux Gsm. Ce qui ralentit la progression numérique dans cette région. A cela s’ajoute la crainte d’escroquerie en ligne. « Un homme m’a dit de composer des chiffres pour bénéficier d’une promotion en cours du réseau MTN. J’ai composé mais c’est mon argent qui est parti. », témoigne Maroufatou Alazi, la cinquantaine environ à Malanville. Pour elle, l’utilisation des moyens électroniques n’est pas aussi sécurisant. Le gouvernement béninois
Minimiser les risques d’insécurité
Richard Koffi Zenny, est commissaire de Police en service à Bensékou dans la commune de Kandi. Ce responsable de la chaîne de sécurité soutient que les services financiers numériques constituent une alternative avec moins de risque pour la population souvent vulnérable aux vols et autres formes de criminalité.
« Nous sommes dans un contexte sécuritaire où notre zone est en proie au terrorisme, dont les acteurs sont dans le besoin quotidien de ressources. L’espèce que détiennent nos commerçants, les personnes qui manipulent de grosses sommes constituent des appâts, des cibles de choix pour non seulement les délinquants classiques, mais aujourd’hui les nouveaux délinquants auxquels nous sommes confrontés, c’est à dire les terroristes. Le mode qui peut nous aider à diminuer ce risque, c’est les transactions financières électroniques».
Richard Koffi Zenny, commissaire de Police
Bien que les utilisateurs des transactions électroniques ne soient pas épargnés de désagréments liés notamment à l’arnaque en ligne, l’ancien commissaire de Malanville soutient que ces risques sont surmontables. Selon lui, la traçabilité des transactions électroniques renforce la transparence et la sécurité des échanges financiers, réduisant ainsi les risques liés à l’insécurité. En cas d’opération irrégulière « on peut retracer. S’il (arnaqueur –Ndlr) a accès à votre bien, on peut tracer tout. Et s’il retire ou transfert, on peut localiser l’endroit pour aller le chercher. Donc ça diminue les risques et offre plus de sécurité».
Dans une région où l’accès aux services bancaires traditionnels demeure limité, les transactions mobiles se posent comme une solution. Au Bénin le paiement électronique transforme le paysage financier, favorisant l’inclusion financière et réduisant les risques d’insécurité. Selon un rapport de la Banque Centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO), le taux d’utilisation des services financiers dans le pays a atteint 77,83 % en 2019, le positionnant au deuxième rang au sein de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA). Malgré cette avancée, les défis d’accès demeurent.
NB: Cet article est rédigé dans le cadre de la Bourse du Programme de journalisme sur les infrastructures publiques numériques (IPNs) de la Fondation des médias pour l’Afrique de l’Ouest (MFWA) en collaboration avec Co-Develop
Sota FM, merci pour le travail. Quand je vois les gens trimballer de grosses sommes d’argent à l’ère du numérique, je m’interroge.
Vous faites bien d’évoquer le sujet. Seulement le défaut de couverture du réseau doit être corrigé
Bel article ! Voilà le genre de travail que doivent faire les journalistes. Merci à l’auteur de l’article. Mais je voudrais demander aux autorités de sensibiliser nos parents analphabètes du numérique. Il faut qu’on évite vraiment de s’exposer à la gueule du loup (bandits) en transportant de sommes importantes. C’est vraiment risqué dans l’Alibori aujourd’hui. Et voilà bien une solution. C’est génial