Dans le nord du Bénin, les champs et les pâturages laissent place aux horreurs des groupes armés terroristes. Des villages désertés, des champs abandonnés, les corps macabres en décomposition en plein air témoignent de la violence des groupes armés qui n’épargnent pas les populations locales. C’est la première fois qu’une enquête journalistique dévoile l’ampleur des exactions des terroristes sur des civils, notamment des agriculteurs et les éleveurs, dans l’extrême nord de la République du Bénin, à la frontière du Niger et du Nigeria.
« Nous avons été capturés et conduits dans la forêt du parc W. Nous avons fait six jours de voyage à pied à l’intérieur du parc. J’ai vu les campements des groupes armés. A chaque point d’arrêt, ils nous donnaient à manger et des médicaments pour reprendre des forces », raconte Boubacar, un éleveur enlevé par un groupe armé. Capturé chez lui dans la nuit du 6 novembre 2022 à Malanville, une ville située à l’extrême nord du Bénin, à la frontière avec le Niger et le Nigéria, Boubacar sera conduit dans la forêt du parc W, avec deux autres prisonniers. Mais il a réussi à s’échapper après six jours de captivité, grâce à un éléphant qui a dispersé tout le groupe, selon son récit.
Le parc W, un refuge des groupes armés
Dans le département de l’Alibori au nord du Bénin, certaines activités se trouvent profondément affectées par l’insécurité causée par des groupes terroristes. C’est le cas de l’agriculture et de l’élevage, deux secteurs clés de l’économie locale. Très actifs dans la région, l’Islamic State Sahil Province (ISSP), le Jama’at Nusrat al Islam wa al Muslimeen (JNIM) ou le Groupe de soutien à l’Islam et aux musulmans (GSIM) et autres mettent à mal la quiétude des acteurs agropastoraux exerçant dans les environs du parc W.

Localisation du parc W. Source : l’Institut Géographique National (IGN)
Au cœur de la grande réserve de biosphère étendue sur trois pays – le Bénin, le Burkina et le Niger -, se mènent des opérations illicites telles que le trafic de carburants, de vivres et de bétails. Le plus inquiétant pour les riverains, ce sont les vols de bétails et les incursions répétées des individus armés dans les champs. « Ils prennent régulièrement par ici pour rejoindre leurs gîtes. En moyenne tous les trois jours, ils transitent par ici avec leurs armes. », confie un agriculteur, la quarantaine d’âge environ. Ce paysan que nous avons rencontré dimanche 3 novembre 2024 dans son champ à Mamassi Gourma, un hameau de l’arrondissement de Bogo-Bogo, commune de Karimama, n’est pas prêt à témoigner à visage découvert.
Pour lui, dénoncer les mouvements des groupes terroristes auprès des Forces de défense et de sécurité, est synonyme de déclaration de guerre aux groupes armés. « On ne sait plus qui est qui. Même vous-même Monsieur le journaliste, qui sait si vous n’êtes pas envoyé vers moi. Je n’aurai personne pour veiller sur moi en cas de représailles des “aladjis” (expression codée pour désigner les groupes terroristes – NDLR) », s’explique notre interlocuteur qui soutient que les communautés sont infiltrées par les groupes armés.
Désemparé et méfiant, il s’empresse de donner un exemple : dans la nuit du jeudi 3 au vendredi 4 octobre 2024, des individus armés non identifiés ont abattu huit (8) personnes à Zougou, un hameau de Goroukambou dans l’arrondissement de Birni-Lafia, commune de Karimama. Selon les témoignages, certains habitants de cette localité avaient arrêté et confié à la police un homme suspecté d’appartenir au réseau terroriste. « En représailles, les individus armés sont passés aux environs de 2 heures pendant que tout le monde dort pour interpeller les présumés auteurs de l’arrestation du membre de leur équipe. Ils ont été assassinés pour servir de leçon à tous ceux qui essaieraient de les dénoncer », raconte notre source. Cet acte horrible a semé la terreur qui s’est emparée du village et des localités environnantes.
Notre interlocuteur soupçonne certains habitants qui seraient en contact avec les groupes armés. Selon ses dires, ils ont identifié tous ceux qui étaient impliqués dans l’arrestation du suspect. « Ils ont procédé par appel pour identifier les huit habitants avant de les tuer », confie-t-il. Ce dernier n’est pas prêt pour une quelconque dénonciation. Dans ce village de quelques cases, c’est panique généralisée au sein de la population. Les patrouilles des forces de défense et de sécurité ne suffisent pas pour rassurer les habitants. « Nous continuons d’y vivre, mais avec la peur au ventre. Des familles s’accusent mutuellement. Pour elles, c’est la dénonciation qui a coûté ce bilan funeste », déplore-t-il.
Il sera renchéri par un agriculteur de la même région qui donne les raisons pour lesquelles il a abandonné son champ. « Chaque matin, nous sommes stressés par la situation d’insécurité, lorsqu’il faut aller au champ. Les gens de la forêt (les terroristes-NDLR) mettent souvent des explosifs sur le chemin de champs. Notre chance en 2023, est que les animaux étaient passés en premiers avant notre arrivée. Nous avons retrouvé un béant trou avec des bœufs morts. Cela est causé par une explosion. C’est depuis ce jour-là que nous avons décidé d’abandonner ce champ », explique l’agriculteur sous anonymat.
Plus loin, à plus 40 kilomètres, au sud-est de Malanville, se situe Goungoun où opèrent également des groupes armés. Cette localité et ses environs jusqu’à la frontière du Nigéria en passant par la forêt de Djona à Alfakoara, sont en proie aux incursions répétées des individus armés. L’un de ces assauts qui a marqué les esprits est l’attaque qui a fait au petit matin du jeudi 19 septembre 2024, trois morts dans le rang des policiers sur la route inter état Kandi – Malanville.
Dans l’immédiat, l’accès aux zones champêtres est devenu un grand défi pour les agriculteurs. Selon les informations, les déplacements dans la zone ont été réglementés pendant ces moments de troubles. « Aucun civil ne devait circuler au-delà de 16 heures (15h GMT – NDLR), et aussi pas avant 6 heures (5h GMT – NDLR) », confie une source sécuritaire. Selon cette dernière, ces restrictions visaient à contenir les mouvements après le drame. La mesure bien qu’elle n’ait pas été appliquée pendant une longue période, est perçue comme une restriction dans le rang des paysans.

Agriculteurs en pleine activité champêtre, à Tchrobossi (Goungoun)
Pour S. Amadou, époux de deux femmes et un père de sept enfants, la situation se complique pour les agriculteurs. « D’habitude nous campons dans nos champs pendant les périodes de labour et de récolte pour éviter de parcourir de longues distances chaque matin et soir. Mais avec la nouvelle situation sécuritaire marquée par l’insécurité qui va grandissante, nous aurons assez de peine. Bientôt la nouvelle saison des pluies pour la campagne agricole 2025 – 2026, il faudra être prudent », fait-il savoir. « A l’allure où vont les choses, les agriculteurs finiront par abandonner leurs champs dans un contexte où nous nous plaignons de l’insuffisance des terres cultivables », s’inquiète M. Kora à Goungoun. A Boïffo dans le même arrondissement, la mort d’un agriculteur et de son fils accentue les inquiétudes au sein des populations.
En effet, samedi 22 février 2025, le village a été abasourdi par la découverte de deux corps sans vie identifiés comme ceux de Séidou Harikiré et son premier fils Abdoul Aziz qui s’adonnaient par moments à l’activité de pêche. Identifiés grâce à leur moto, également brûlée en brousse, la tuerie de ces habitants de Boïffo amplifie les inquiétudes au sein des populations dans leur mobilité. «Pour aller encore au champ, nous devons réfléchir par mille et une fois, surtout quand le champ n’est pas à côté », Abdou Latifou.
Selon un agent encadreur du monde agricole en service dans l’Alibori, il existe des localités inaccessibles du fait de l’insécurité. « A Karimama, il y a des zones dans lesquelles les agents ne peuvent plus intervenir. Il en est de même pour les agriculteurs qui ne peuvent plus aller à ces endroits. Des superficies sont abandonnées », explique-t-il. Selon ce dernier, la menace sécuritaire exacerbée ces derniers jours inquiète le monde agricole dans la région. Il sera appuyé par un autre agent dont nous taisons le nom pour sa sécurité et pour lui éviter d’éventuelles censures de sa hiérarchie. En service dans un arrondissement de Banikoara, il n’est pas prêt à se rendre dans certaines localités de la commune, considérée comme le bassin cotonnier du Bénin. «Si vous tenez à votre vie, il y a des zones comme Mékrou, que vous devez éviter. Pas seulement nous les agents encadreurs mais aussi les paysans». L’Alibori subit des attaques répétées, dont celle coordonnée contre deux casernes militaires le 17 avril 2025, qui a coûté la vie à 54 soldats béninois, selon les chiffres officiels révélés par le gouvernement. Avec un bilan le plus lourd qu’a connu le pays jusque-là, l’assaut est revendiqué par des combattants de Jama’at Nusrat al Islam wa al Muslimeen (JNIM) contre deux positions fortifiées de l’opération anti-terroriste Mirador à Koudou et au point triple dans le Parc W.
L’ombre du terrorisme sur le secteur de l’élevage

Un troupeau de boeufs en pâturage proche du fleuve Alibori
La ‘‘Zakât’’ ! C’est le mot qu’emploient les individus armés pour soustraire ou collecter illégalement les biens des populations paysannes notamment chez les éleveurs. Si la pratique est bien développée dans des pays du Sahel où sévit le terrorisme, elle paraît plutôt nouvelle pour les acteurs du secteur au Bénin.
« La dernière fois, je rentrais du champ quand j’ai entendu des discussions où des personnes exigeaient à un berger une tête de bœuf sur 100 bétails. Je me suis caché en brousse pour écouter une bonne partie de leurs conversations avant de prendre la fuite. J’ai dû prendre la fuite avant qu’on ne m’aperçoive, parce que ces personnes étaient devenues menaçantes envers les pasteurs. », témoigne Bagnan, un agriculteur à Guéné.
Hamadou Kada, la quarantaine d’âge, est un déplacé interne. Précédemment propriétaire de plusieurs têtes de bœufs à Oundou-Kouré, une localité rurale de Toumboutou dans la commune de Malanville, cet éleveur à la fois agriculteur a tout laissé derrière lui pour venir s’installer à Wolo, un quartier de Malanville centre. Lui, sa femme et ses trois enfants ainsi que les plus de cent déplacés vivent sur un espace aménagé sur plusieurs hectares pour accueillir des personnes ayant fui leurs localités pour des raisons d’insécurité.
Ce village abandonné par plus de 200 habitants à majorité éleveurs, a connu au moins cinq personnes tuées par étranglement, le déclic des départs massifs, selon les témoignages. Kada raconte comment, de grand producteur de céréales, il est réduit à un simple consommateur.
« Je suis obligé de chercher de l’aide pour pouvoir nourrir ma famille. Avant que je ne quitte mon village (Oundou-Kourè) à cause des tueries et des arrestations, je récoltais à chaque saison sept à dix tonnes de mil et de maïs. Je faisais des réserves pour la nourriture de la maison, je vendais également le reste pour me faire un peu d’argent. Aujourd’hui impossible. Nous avons tous abandonné nos terres pour venir ici (Wolo, NDLR). Si on ne nous donne pas à manger, nous ne produisons rien ici, pas de terres cultivables pour nous. C’est pareil avec nos bétails. J’ai presque tout vendu. J’avais plus de 200 têtes de bœuf, mais je n’en possède que moins d’une dizaine aujourd’hui. J’étais obligé d’en vendre pour faire face à des besoins quotidiens : santé, nourriture et autres depuis trois ans. », confie Kada. Cet agro-éleveur voit l’avenir s’assombrir pour lui.

Habitation en paille de déplacés à Malanville
Comme lui, Roukiatou Bouraïma, 48 ans et mère de Cinq enfants dont deux filles, a définitivement tourné dos à Tondi-Kaouria, un village de Karimama où elle vivait paisiblement avec son époux et ses enfants. Dans ce hameau, les bruits de fusils sont devenus assourdissants, et l’accès aux espaces de pâturages n’est plus aisé pour les éleveurs. La dégradation de la sécurité exacerbée par des affrontements sporadiques entre les individus armés et les forces de défense, contraint des familles à se déplacer vers d’autres localités plus ou moins stables.
Mais dans ces nouveaux lieux d’habitation, la vie se trouve chamboulée pour ces déplacés en pleine résilience. « J’élevais des moutons, des chèvres et des boucs. En venant à Malanville-centre où nous vivons depuis deux ans, j’étais arrivée avec quarante têtes d’ovins. Actuellement, vous pouvez vérifier, plus rien ne reste. D’abord le lieu de pâturage n’est pas disponible. Où faire paître les animaux ? ils ne sont pas épanouis loin de la brousse. Il n’y a pas d’espace ici. Plusieurs en sont morts », raconte dame Roukiatou.
Kangara, un village fantôme.
Autrefois bien animé avec plus de 500 âmes, Kangara est désormais désert. Ce village de l’arrondissement de Birini-Lafia est abandonné par ses habitants, en majorité éleveurs de bétails. « Ils ont fui leur localité à cause, entre autres, de la pression de la ‘‘ fiscalité ’’ illégalement perçue par les individus sous l’appellation de ‘‘zakat’’.
« Au départ, nous avons reçu la promesse de protection et d’aide pour la libération des espaces et couloirs de pâturage pour nos bétails. En contrepartie, ils prélèvent une tête de bœuf sur 100 bœufs. Dans la collaboration, les habitants avaient également pour mission de fournir des renseignements sur les positions des forces de défense et de sécurité », raconte un éleveur qui a fui son village Mamassi Gourma, dans la commune de Karimama. Démarré en 2022 selon ses confidences, ce prélèvement de bétails jugé illégal s’est accentué et est devenu insupportable au fil du temps pour les habitants qui ont fini par déserter les lieux avec leurs troupeaux, mettant ainsi fin à la collaboration avec les GAT.
Le vol de bétails, autre handicap pour l’élevage
Imorou Yarou, un éleveur installé à Koara-Tédji, se plaint du vol de son bétail qu’il a confié à Hamadou, un bouvier pasteur. « J’ai un cheptel de cent têtes de bœuf avec Hamadou. Nous sommes un certain nombre d’éleveurs à lui confier nos bœufs pour le pâturage. Mais ce samedi (26 octobre 2024), il est rentré sans un bœuf. Tout le troupeau a été emporté par les gens de la forêt (les groupes terroristes – NDLR) », se lamente Imorou Yarou, l’air désespéré.
Loin d’en vouloir au berger, Yarou semble plutôt le dédouaner. « Cela fait quinze ans que Hamadou a la charge de faire paître nos troupeaux. Rien de pareil ne nous est jamais arrivé jusque-là, si ce n’est ce jour-ci. C’est dur à supporter mais, on n’y peut rien. Lui-même, le berger, pourrait en perdre la vie », compatit le propriétaire, sans l’espoir de retrouver son troupeau.
Nous décidons alors, pour mieux comprendre la situation, d’entrer en contact avec Hamadou. Mais à l’arrivée, c’est plutôt une autre victime que nous avons pu rencontrer. Pour discuter avec lui, cela nous a pris une semaine, après la prise de rendez-vous. Pour des raisons de sécurité, nous évitons d’effectuer le déplacement avant 8 heures ou après 16 heures (heure locale).

Entre Goungou – Bangoun : le couloir le plus fréquenté par les GAT
Se rendre dans ces régions périphériques du parc W, est presque un exploit. Ici, la distance n’est pas que géographique. Elle est également infrastructurelle. Loin des bruits de développement, aucun réseau téléphonique ne fonctionne sur place. Les sentiers qui servent de pistes de circulation totalement défigurées serpentent au milieu de la brousse. Le premier défi était de braver l’état de la voie. L’autre difficulté, c’est la peur de marcher sur une mine. Au bout de plus de trois quarts d’heures nous découvrons Gah Béri où vit notre interlocuteur. Avec lui, la stratégie de dépossession de bétails sera expliquée.
Le mode opératoire selon les témoignages des victimes, consiste pour ces individus armés de menacer les bergers de mort s’ils refusent d’abandonner leurs troupeaux. Face à la menace, ces derniers prennent la fuite laissant les bétails aux GAT.
« Ils étaient trois, avec leurs armes, ce jour-là. Nous nous sommes croisés dans la brousse là-bas (zone du parc W). Ils m’ont demandé de choisir entre ma vie et les bétails. Que si je tenais à ma vie de m’en fuir avant qu’ils ne finissent avec moi. J’ai dû prendre mes jambes au cou, abandonnant le troupeau. Un troupeau qui ne m’appartient même pas », raconte B. Moussa, 30 ans environ, lui-même victime de ce type de vol de bétails. Selon ses propos, les bœufs volés sont la propriété d’autrui. « Je n’ai que cinq bœufs dans le lot. Le reste appartient à mes patrons », dit le berger.
Pour retracer le circuit, il ressort des témoignages recueillis auprès de plusieurs sources au niveau local, que Sendé, une localité enclavée de Madécali sert de marché intermédiaire pour alimenter le géant de l’est. Après les opérations, les bétails volés sont conduits à Sendé pour être vendus aux commerçants, à cheval entre le Bénin et le Nigéria, d’après une source locale bien renseignée.

Sendé, un marché noir de bétails.
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Les poses des mines sur les sentiers, la menace commune aux éleveurs et agriculteurs
« Je ne fais plus de longues distances en brousse », confie Soumana, un bouvier à Birini Lafia. Selon ce berger, ils tombent parfois sur des engins explosifs improvisés. « Cinq bœufs ont été tués dans une explosion la dernière fois (journée du jeudi 31 octobre 2024- NDLR) entre Mamassi Gourma et Kofonou. Ce n’est pas le premier cas » affirme-t-il.
Déjà en conflit avec les agriculteurs, les éleveurs doivent faire face au front terroriste. Ils sont victimes des attaques parfois meurtrières des groupes armés. Au début du mois d’octobre 2024, plusieurs corps en décomposition ont été découverts dans une broussaille de Boïffo, un village de Guéné.
Selon les témoignages que nous avons recueillis auprès d’autres éleveurs, il s’agit des corps de trois bouviers en provenance de Banikoara, une commune voisine. En quête d’espace de pâturage pour leurs bétails, les bergers ont migré vers l’est du parc W où ils ont été tués. Sur les lieux que nous avons visités plus tard avec l’aide d’un guide, les odeurs d’un corps en décomposition, sous une tente vandalisée et délabrée sous l’effet des intempéries climatiques, embaument l’atmosphère.
A environ une quinzaine de mètres de là, deux autres corps dont l’un se trouve totalement en pétrification avec un crâne dénudé, des visages méconnaissables. Le nombre des carapaces d’animaux et des corps tués illustre la férocité de l’attaque. L’air y est lourd, chargé d’une tension oppressante, comme si l’endroit lui-même était vivant, hanté par des présences invisibles. Chaque pas résonne, chaque souffle est amplifié, et la sensation persistante d’être observé fait halluciner et provoque la montée d’une sueur glacée.
A coté de la tente, treize gourdes et plastiques à eau – certainement celles des victimes- et de couleurs jaune et bleue sont soigneusement alignés mais dans un état d’abandon. L’épaisse couche de poussière qui enveloppe les objets témoigne qu’ils n’ont pas été touchés depuis un moment. Tel dans un abattoir, les ossements des animaux, six environ, c’est un environnement de crime plein d’horreur et de frayeur.
Un sentiment d’effroi s’empare de quiconque ose s’y aventurer. Nous nous empressons de quitter les lieux qui semblent murmurer un message terrible, une histoire oubliée, que seul le monde invisible connaît.

L’un des corps en décomposition retrouvés dans la brousse
Devant ces images insoutenables, illustrant la barbarie perpétrée par des individus non identifiés, plusieurs questionnements. Les principales préoccupations restent : qui sont les auteurs de cette tuerie en série ? Serait-elle l’acte des groupes armés extrémistes ? Le bémol est que, en dehors du terrorisme, la région est également en proie à de conflits récurrents entre les agriculteurs et des éleveurs qui se livrent une féroce concurrence autour des ressources naturelles ces dernières années. La thèse d’un carnage terroriste est plausible, au vu des objets de guerre abandonnés sur les lieux.

Les objets retrouvés sur les lieux, octobre 2024
Ce qui guète le Bénin, si rien n’est fait.
Avec l’expérience des pays du sahel où le terrorisme fait rage, cette imposition ‘‘fiscale’’ est parfois appliquée aux personnes. « Dans la région de Tillabéri les GAT continuent d’asseoir leur emprise sur des zones entières au grand dam des populations qui sont abandonnées et restent sans aucun secours de la part de l’État. En effet dans la zone de Tamou (département de Say) les terroristes du JNIM-AQMI ont récemment instauré une nouvelle loi relative à la zakat qui est désormais de 20.000 fcfa par enfant pour chaque père de famille », explique Ibrahim Manzo Diallo, Journaliste spécialiste des questions sécuritaires au Sahel, basé à Agadez au nord du Niger. Selon un rapport de l’Initiative Mondiale contre le Crime Transfrontalier Organisé (GITOC), ces prélèvements illégaux de la ‘‘zakat’’ représentent une source de revenus illicites pour les groupes armés terroristes, donc une économie illicite.
Loin d’être des cas isolés, ces attaques terroristes dans la partie septentrionale du Bénin révèlent l’ampleur de la menace sécuritaire. Les communautés agricoles et pastorales de la région se trouvent ainsi confrontées à une crise sans précédent. Inévitablement, cela aura un impact direct sur la production agricole dans la région reconnue pour sa forte culture en riz, pomme de terre, maïs, sorgho et autres. Si rien n’est fait, la région béninoise affectée pourrait descendre de ses 40 % de production agricole nationale. Les pays du Sahel en sont des exemples.
Dans un rapport de Fews net , la crise sécuritaire exacerbée par les attaques terroristes a provoqué une baisse de production au Niger. « Selon le scénario le plus probable élaboré par la direction de la statistique de l’agriculture, les productions seront d’environ 4.9 millions de tonnes, soit une baisse de 18 pour cent et 8 pour cent respectivement par rapport à 2022 et à la moyenne quinquennale. Les réductions de la production agricole font aussi suite à la baisse des superficies mises en valeur dues aux abandons des champs de culture enregistrés dans plus de 100 villages agricoles des régions de Tillabéry, Diffa, Maradi et Tahoua affectées par l’insécurité», révèle le site.
Au Bénin, les zones touchées par l’insécurité sont reconnues pour être des leviers agricoles. Plusieurs sources révèlent que la grande partie de la production céréalière provient de ces régions. « Il s’agit en effet d’une dizaine de communes et d’arrondissements (Nikki, Kalalé, Ségbana, Malanville, Karimama, Banikoara, Kérou, Tanguiéta, Matéri, Cobly) faisant notamment frontière avec le Niger ou le Burkina Faso. Ces zones touchées concentrent un énorme potentiel agricole et fournissent la majeure partie des produits céréaliers (riz, soja, maïs, sorgho, fonio) demandés au plan national », indiquent les experts du Ciaaf dans un diagnostic sur l’insécurité alimentaire qui guète le Bénin face à la poussée du terrorisme.
Par exemple, pour la production rizicole (stat. 2017-2018) « les zones touchées représentent 54,48% de la production nationale ». Pendant que le sorgho était à 48,43%. « Au plan national, on constate une production globale de la période de référence de 591. 713,20 tonnes de produits céréaliers sur l’ensemble; ce qui représente 26,95% de la production nationale », selon les chiffres (2022) de AfriCereal Group.
Dans la même logique, le Recensement national de l’agriculture effectué en 2022 par le Ministère de l’Agriculture de l’Elevage et de la Pêche, révèle une régression progressive de la taille du cheptel bovin au Bénin. De 2 400 000, le cheptel bovin a chuté à 1 964 883 têtes, soit plus de 8 % de baisse, selon ledit recensement.
Cela constitue une véritable menace sur la sécurité alimentaire. L’instabilité au nord du Bénin, principalement l’Alibori en proie à la poussée de l’extrémisme violent, entraîne l’abandon des champs et des pertes de bétails. Inévitablement, la baisse de la production des cultures céréalières et de rente en découlera. Pourtant, le Bénin est un pays principalement rural dont la population dépend du secteur agricole. Selon une estimation de Integrated Industrial Platforms, ce secteur fait vivre plus de 70% de la population béninoise et représente 35 % du PIB et 80 % des recettes d’exportation. En 2022, au cours de la présentation officielle du module de base du Recensement National de l’Agriculture (RNA), le 25 janvier dans un hôtel à Cotonou, le Directeur de la statistique Agricole, Alexandre Biaou révèle que plus de six millions de ménages pratiquent l’agriculture au Bénin. Des données qui font de l’agriculture l’un des secteurs vitaux à l’image de l’élevage qui occupe également une place importante pour le monde rural dans la partie septentrionale du pays.